Quelques contributions

Philippe Fenwick, Acteur, Auteur et Metteur en scène, Paris.

« S’il est révélé qu’en France et aux États-Unis le structuralisme a mis en valeur l’inquiétude de « ce qui est nommé » en nous démontrant que ce que nous voyons n’est plus « un tout » délimité par une croyance commune ; le réel, dans son ensemble, est devenu contenu dans l’énonciation et le mot. Le réel devient donc divisé entre l’objet visé et la langue. Cette division s’est avérée décisive car, chaque nomination porte, en elle, une action en prise sur la réalité.
Il est clairement défini qu’avec ce concept l’idée de « tous les possibles » s’est imposée.

Plusieurs questions doivent donc être posées aujourd’hui :

Pour quel « Homme » choisi-t-on de monter sur une scène ?

Qu’avons-nous à énoncer d’intelligible en utilisant les diverses métaphores proposées par notre imaginaire ?

Où se trouve « l’urgence de dire » en révélant les
failles qui composent les femmes et les hommes à chaque période de l’Histoire ?

Depuis une vingtaine d’année, sans prendre en compte les processus empiriques liés à notre histoire commune, nombres de créations se sont forgées uniquement au « présent du présent », c’est à dire en rapport avec une actualité « en direct » comme révélateur du néant.
Avons-nous oublié ce que Debord expliquait en décrivant le présent éternel et immuable comme temps de l’aliénation » ?

En ce sens, dans cette idée d’immédiateté, la publicité fait figure d’art suprême. Les publicitaires ne s’appellent-il pas, entre eux « créatifs » ?

Il me semble donc essentiel, pour admettre la mort de l’existant en tant que croyance et en faire œuvre d’art, de prendre en compte cette disparition. Mais l’acceptation de ce que Lacan appelait « l’impossibilité du réel» ne sera possible qu’en le regardant et en s’y confrontant sous le calque des stigmates du passé et des racines communes où il s’attache.

Ce passé révélé, ayant retrouvé ses bases originelles - détachées de « l’innovation » érigée aujourd’hui comme valeur suprême - remettra, au centre de l’attention l’acte de se réunir pour, le soir, ensemble, traduire les silences et tenter d’écouter le cri muet des fantômes qui hantent les vivants.

En Occident, en tuant « le signifiant », au profit du seul signifié (concept), nombres de spectacles – dont la tentative louable était de se rapprocher du réel - ont créé, sans le vouloir, une barrière de classe éloignant les non initiés ; allant même, comble du paradoxe, jusqu’à les montrer, sur scène comme matière et non comme part d’humanité.

A quels résultats avons-nous assisté ?

D’un côté, l’abnégation de la métaphore - pour révéler « le cru » - a fait éclore des œuvres sans atavisme et a tué ainsi la catharsis et toutes formes de questionnement lié à l’individu en prise avec son environnement proche.
 De l’autre, des « signes de classe », présents lors de nombreux spectacles devenus abscons aux non-initiés. Il est de fait que la non-acceptation, d’un certain milieu artistique et autarcique, du réel « en crise » - que l’artiste a, en principe, le devoir de sublimer - a engendré des créations dont l’esprit s’est détourné d’une réalité plurielle. Cette perte de considération a créé une culture aristocratique percluse de symboles appartenant à un milieu cloisonné et endogamique. Comme le souligne Roland Barthes, le statut de la bourgeoisie est particulier et, l’homme qu’elle représentera sera, pour elle, toujours universel. On peut ainsi comprendre comment le théâtre, « en s’embourgeoisant », s’est coupé de toute une partie de la population qui ne s’est plus sentie concernée par ce qui se passait (ou ne se passait pas) sur scène. Oserai-je avancer que le « théâtre d’art actuel », souvent sans racine, sans sueur et sans
« histoires communes », est un théâtre où la technicité et « l’entre soi » ont fini par créer un « vide de sens ».

Ainsi, le structuralisme, qui était censé apporter un surcroit de civilisation, dans l’acceptation de toutes formes d’altérités, s’est transformé en une pensée globale réservée à une élite. L’enjeu est donc de recréer la catharsis pour, à nouveau, s’adresser à tous. Dans cette optique, la métonymie devient fondamentale pour « raconter une histoire », fable qui vise le monde dans son ensemble.
La vision et le regard de l’Autre et sur l’Autre deviendront alors essentiels dans la dialectique d’une dramaturgie vivante et polyphonique ayant pour but d’ouvrir sur une question et ne pas être dans « l’exposé » ou la démonstration scolaire.

Ainsi, à l’heure où de nombreuses municipalités font des coupes budgétaires envers la culture ; à l’heure où il n’y a personne (à part les profs et les gens du métier) pour défendre un théâtre qui ferme ; à l’heure où baisser les crédits d’un lieu culturel ne fait plus perdre des voix aux élus mais même quelque fois en gagner ; à l’heure où il n’y a pas une semaine qui ne se passe sans qu’un festival ne soit supprimé. Quelle responsabilité avons-nous, en tant qu’artiste ? N’est-il pas temps de réconcilier la population avec l’art ?

Quels silences devons-nous traduire ?»

Autre texte :

« Elitaire pour tous » - avant d’être le sous titre d’un livre de Jack Lang sur l’éducation - est une formule poétique de Schiller conceptualisée par l’un des inventeurs de la mise en scène, Meyerhold, et retransformée en utopie par un poète-metteur en scène, Antoine Vitez.

Il se trouve que, comme le marxisme - dont les hommes ont eu à payer cher les diverses interprétations – la notion d’ « élitaire pour tous » est une utopie dont le peuple subit encore aujourd’hui les méfaits, dans l’exclusion que ce concept implique.

Cette volonté, louable, d’emmener tout le monde vers le haut dans la notion de progrès humain liée à la répartition des richesses intellectuelles est devenue une pensée politique.

Ainsi, pour les tenants de la doxa – qui pour beaucoup, ont eu le mérite d’être sincères - rien n’était jamais trop beau pour l’émancipation de la classe ouvrière.

Mais là où le communisme, dans sa version trahie et appliquée in situ, a eu ses bourreaux, « l’élitaire pour tous » a eu ses falsificateurs et ses tchékistes qui se sont emparés du pouvoir pour ne plus le lâcher.

Il est également intéressant de noter qu’à part quelques personnalités, les femmes et les hommes politiques, ne vont pas - ou peu - au théâtre et donc le connaissent mal. Ils délèguent cet matière mouvante et émouvante à des conseillés à qui ils font une totale confiance.

Pour ces spécialistes, plus les propositions ont l’air complexes, plus elles sont pointues et plus elle ont de valeur, à l’instar de la messe en latin défendue par les traditionnalistes dans l’idée qu’il ne faut pas comprendre pour croire.

Ainsi plus les œuvres semblent inaccessibles et plus on a le devoir de les faire partager à la « classe laborieuse » qu’on souhaite sensibiliser pour qu’elle puisse y avoir accès. On inventa ainsi le concept d’ « action culturelle » mis en place par des directeurs de théâtre qui avait inconsciemment dans l’esprit la phrase de Voltaire, philosophe monarchiste qui écrivit : « Il faut que le peuple soit guidé et non instruit ».

Dans cette volonté, je me souviens d’une compagnie de théâtre venu « en immersion » au sein d’un théâtre en Seine-Saint-Denis pour écrire une pièce sur ce que vivait les gens au quotidien dans leurs cités. Au bout d’un mois, l’équipe artistique avait construit un lien privilégié avec les habitants. Il est vrai que les artistes dramatiques sont souvent des personnes empathiques et qui ont l’art de s’intéresser aux autres. Le soir de la première, les gens du quartier - qui étaient tous venus voir le spectacle - n’avaient strictement rien compris à « la proposition » faite par la compagnie. Ça ne leur était pas parvenu. Pour le directeur du lieu, aucune importance… Ça n’était pas destiné aux gens du quartier mais imaginé pour une élite parisienne venue de la capitale et amenée en car pullman. Devant le désarroi de ses nouveaux amis des cités, le metteur en scène, au lieu de se remettre en cause, avait juste constaté, avec fatalité, l’incompréhension d’un public populaire pour lui devenu insoluble et dont seule TF1 était responsable. »

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